• Le jardin. 20/03/2020

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    J’entre dans le jardin par l’espace ouvert de ses bras. Un escalier où s’installent des lychnis tranche la butte. Le cerisier fort de sa place de veilleur, robuste et large, abaisse une branche où poser la main quand, chargé, j’arrive à la dernière marche. Une montée vers la lumière depuis l’angle nord de la maison. Les costières s’embroussaillent de plantes laissées à leur liberté. Seule, en hiver, la main bleue, celle des couleurs secrètes et des complicités avec les fleurs, rétablit chacun dans son espace avec une grande attention, celle de l’archéologue. Et pour tous elle trace la possibilité d’une communion. Mais les unes, amies de la chaleur et de la sécheresse, encanaillent le talus abusant de leur force, et d’autres toutes dans leur fragilité et leur timidité se glissent dans les interstices que leur octroient les dominantes. De trop rares bourdonnements traversent les couleurs. Le jardin a perdu nombre de ses petites ailes et de ses élytres. Son agitation mellifère s’engourdit. Le mahonia saute allègrement par-dessus les pierres rouillées des bordures.

    Le temps s’étire contre la joue chaude du soleil. Le sentier, d’allée il n’est point question dans la libéralité des habitants du lieu, traîne ses sinuosités dans l’herbe rare privée d’eau depuis le début de l’hiver. Des pierres égratignent sa peau granuleuse. Il chemine par amitié pour mes pas entre une touffe de jonquilles et une planche de petits pois. Toute en lenteur, toute en écoute, la vie revient à nous dans sa profondeur. Les iris entièrement vouées à leur éclat retiennent un peu de soleil, se haussant en bordure d’un escalier rustique, descente vers la réserve d’eau de pluie. Ils se projettent dans une belle promesse de fleur et de senteur. L’odeur des iris, souvenir d’école, plante dans l’année l’avis d’arrivée des beaux jours. Le prunier a courbé son corps gercé pour porter ses branches au-dessus de la dernière terrasse du jardin. La lumière, la lumière et un peu de terre sablonneuse, voici tout son monde dans le voisinage d’un rosier et du cerisier. Le regard est court dans ce jardin de faysses, à la butée du toit succèdent la haie, le grillage en clôture et en dessous la rue muette aujourd’hui. Seuls, habituellement, ses bruits nous rappellent sa présence. Un jardin un peu de guingois, mais tellement vrai, et sous la tuile une maison au ras de terre sans l’exacte rectitude des villas alentour. Loin de cet enfermement rigide dans la monotonie sans cesse dupliquée des pelouses aux murs végétaux taillés à l’équerre, loin de la raideur militaire d’un modèle accepté sans vision ni réflexion, ici c’est un refuge pour la vie.

    Cette maison porte au rêve et à la créativité. Depuis le sentier, à trois ou quatre pas, le toit s’abaisse jusqu’au niveau de la première terrasse. Tout juste un passage, presque un secret, libère les murs de la roche et de la colline. C’est une maison cocon, une grotte enfoncée jusqu’au sourcils dans la pente à l’ouest et au nord, tandis qu’à l’est et au sud elle s’ouvre riante au-dessus des tulipes. Au loin, le Vercors veille sur elle. Une petite assemblée d’arbres bienveillants scrute l’horizon. Chacun prépare, d’année en année, de nouvelles récoltes de soleil tout en sucre. Des mots enfouis dans le jardin donnent un concentré de ciel. Comment raconter l’infini de ce lieu dans une page normée, dans ce 21 x 29.7. Il me faut casser la marge, dépasser le cadre. Les mots les plus importants s’écrivent sur le vent, dans le vol de la mésange, dans le bruissement d’un bourdon. Ils montent avec la sève et font éclater les bourgeons. Ils remplissent l’espace des parfums d’un printemps vaillant. Le papier ne conserve que la partie superficielle des images, des visions qui traversent nos corps-esprits. Cette écriture n’est-elle pas futile, insignifiante ? Des sécateurs claquent derrière la haie. D’un autre côté du jardin le feu consume les restes des saisons mortes. Fumées bleues, par intermittence, comme un signal. Une tourterelle gênée s’envole dans un cri outré.

    Le jardin. 20/03/2020

     

    Daniel Rivel


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